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Chronique : Limp Bizkit - STILL SUCKS


En 2021, écrire une chronique d'un nouvel album de Limp Bizkit relève de l'ordre de l'irréel tant on attendait, voire on n'attendait plus, le successeur de Gold Cobra sorti il y a 10 ans déjà. Entre déboires avec leurs labels (dont une signature éphémère chez Ca$h Money Records de Lil Wayne), promesses d'un disque avec pour titre Stampede of the Disco Elephants qui est désormais foutu totalement au rebus, difficultés d'écriture dans lesquelles même Bring Me The Horizon avaient été sollicités (afin d'accoucher de l'excellente chanson "wonderful life" pour eux-mêmes), rumeurs et intoxs chaque année... Le voilà enfin, le sixième album de Limp Bizkit en plus de 25 ans de carrière est sorti de sa pochette surprise pour Halloween tel un diable sortant de sa boîte.

Qu'attendre réellement de Limp Bizkit en 2021 ? Que le groupe reste fidèle à ce pourquoi il a connu un succès mondial l'ayant fait grossir plus que pour le propre bien-être de ses membres, un rap-metal efficace "zizi-caca-nichons" à la recette identifiable entre mille malgré tous les clones laissés dans leur sillon ou se rendre compte, qu'en effet, Limp Bizkit est devenu ringard et n'était que la sensation d'une ère d'un temps révolu ? Je ne vais pas y aller par quatre chemins mais STILL SUCKS incarne à 100% pourquoi j'aime Limp Bizkit : un groupe qui fait ce pourquoi on le connaît et surtout un énorme pied-de-nez à tout le monde : du rock consciemment débile toujours sur le fil entre le génie et le mauvais goût, en se foutant de la gueule du monde et surtout de la sienne.

Pour citer le génial article de Vice au sujet des émeutes lors du concert de Woodstock 99 : Limp Bizkit est génial non pas par ironie, mais parce qu'il incarne le véritable esprit du rock’n’roll, à savoir la stupidité abjecte. C'est un groupe qui est bête comme ses pieds et qui n'a jamais prétendu être autre chose. Le fait que les gens s'accrochent encore à leur popularité aujourd'hui suggère que le nu metal n'était peut-être pas qu’une crise d'adolescence embarrassante et maladroite dont la culture s'est débarrassée, mais plutôt le symbole d'un bon moment et le slogan que les ados de banlieue en colère criaient à leurs parents quand ces derniers leur demandaient de sortir les poubelles. C'était la rébellion d’une génération perdue, sans ennemi significatif ni direction.

STILL SUCKS, l'album, en lui-même est un troll : 12 pistes pour 32 minutes. "10 ans d'attente pour 32 minutes ?" disent-ils toutes et tous. Oui, mais quelles (putains) de 32 minutes ! Jamais Limp Bizkit n'a été aussi sûr de lui-même, de son identité plus recherchée et complexe que le sens commun ne le laisse entendre. Entre autodérision et tirs à balles réelles, la bande de Fred Durst règle ses comptes avec tout le monde et avec le monstre qu'est devenu Limp Bizkit, l'entité elle-même. Vous réclamez à tort et à travers du son à l'ancienne ? Prenez "Dirty Rotten Bizkit" en pleine gueule, véritable best-of de Significant Other en 3 minutes et 1 seconde, avec son groove, son rap véloce, ses riffs musclés et ses scratches à outrance comme si vous vous étouffiez avec un biscuit périmé depuis 20 ans. Sa place dans les premières places de l'album prouve à elle-même que le groupe a bien conscience de ce qu'il fait, qu'il en est sûr et donne le ton. ("I need a stinky dirty rotten Bizkit / Can you rip shit? Can you rip shit? / Can you rip like a dirty rotten Bizkit? Come on [...] You better give it to me / Hard, loud") Depuis la découverte de la version inachevée d'"Out of Style" (connue alors sous le nom "Wasteoid") en 2019 sur scène avec ses airs aériens de "The Moment You Realize You're going to Fall" de Black Light Burns et l'agressivité de Big Dumb Face dans les riffs bizarroïdes et distordus propres à Wes Borland, elle était ma principale attente et la version finale me pète les chevilles en guise d'ouverture.

Les consommateurs de réseaux sociaux lécheurs d'influenceurs et les "révélations" musicales de Tik-Tok prêtes à tout pour un like prennent tarif avec "Snacky Poo" ("I don't need your Insta, and I don't want your digits / Hit somebody else up when you're tryna sell your tickets / Everybody got a mic / Chasin' all they can to get another like / I don't need anothеr motherfucker in my life."). "Don't change", chanson acoustique et reprise d'INXS, dans la tradition de la "Faith" de George Michael, trouve son sens à travers le prisme de Durst qui y exprime sans cynisme la négativité ambiante dont lui et le groupe sont victimes depuis longtemps et comment il en a été mentalement fort impacté. Dans la même logique, on y retrouve "Pill Popper" et son influence venue tout droit de Ministry (ou de Big Dumb Face, au choix, pourquoi se priver de citer à nouveau un side-project de Borland dont l'identité est évidente ?) avec un son industriel explosif, probablement la chanson la plus violente de STILL SUCKS, visant l'industrie pharmaceutique sur le commerce d'antidépresseurs dont Durst était lui-même accro ("Gimme my medicine / Pills give me a smile / A smile so genuine / But the thrill only lasts a while / So I'll pop me a pill again").

De manière plus générale, STILL SUCKS sous ses airs déphasés et délirants est un album qui parle de la relation toxique, qu'elle soit amoureuse ("Goodbye" ou jusqu'au meurtre avec la planante et chaotique, grinçante au possible "You Bring Out the Worst in Me" via son histoire d'esprit tourmenteur), qu'elle soit envers le public ("Dirty Rotten Bizkit", "Love the Hate") envers son propre groupe ou envers soi-même. En creusant suffisamment, on déterre sous les blagues potaches un premier degré plus grave et touchant d'un homme qui a tout perdu notamment dans l'incendie de sa maison en 2018 : Fred Durst lui-même, le syndrome du clown qui fait le pitre pour amuser la galerie afin de cacher son propre mal-être. J'aime tout particulièrement "Love the Hate" et la manière dont Freddie D. joue le jeu d'autodérision à s'envoyer fion sur fion, cette fois se basant sur toutes les critiques les plus virulentes qu'il a pu encaisser toutes ces années souvent par une partie du public qui n'assume plus avoir aimé Limp Bizkit plus jeune, pour qui c'est devenu un objet de honte, et pointe avec sarcasmes qu'on se rassemble toujours plus facilement autour de ce qu'on déteste : le biscuit mou y répond le plus simplement du monde : le groupe n'en n'a rien à foutre.

Oui, STILL SUCKS est moins équilibré que Gold Cobra, moins impulsif et incisif (mais tout aussi énergique) que Three Dollar Bill Y'all $, moins thuné que Chocolate Starfish & Hot-Dog Flavoured Water, moins homogène que Significant Other, mais STILL SUCKS est sûrement le plus Bizkit des Bizkit dans son esprit de dérision et à la production la plus "dans ta gueule". Déphasé avec son époque, déphasé tout court même, Limp Bizkit s'amuse en criant qu'il craint toujours mais c'est pour ça que Limp Bizkit est génial et restera le groupe le plus incompris des 25 dernières années et probablement des 25 prochaines. Limp Bizkit ne craint pas et je l'affirme contre vents et marrées : STILL SUCKS est le meilleur album du groupe. Peut-on parler de l'album de la "maturité" ? Je pense que oui.

STILL SUCKS est le Limp Bizkit le plus hétérogène, le plus complet, le plus solide, celui où le groupe brasse absolument toutes ses influences (jusqu'à un hommage parfait à Nirvana sur "Barnacle" où Durst compare un fan se mettant à persécuter son artiste préféré à une balane, histoire vraie ayant fait l'objet du film The Fanatic, avec John Travolta et réalisé par Fred lui-même en 2019) et je comprends pourquoi qu'il a été difficile de refaire un album après Gold Cobra, d'étudier et replonger pour eux dans ce qu'est vraiment Limp Bizkit, de tout décortiquer, de tout épurer. STILL SUCKS, l'album de l'introspection ? On sait que le disque a été repris à zéro de nombreuses fois sans trouver vraiment le ton et je crois que là, ils l'ont et il est parfait comme ça... parfaitement en phase avec ce qu'est Limp Bizkit avec les riffs uniques de Borland (confirmant qu'il est un des guitaristes et musiciens les plus talentueux de sa génération) dont il a lui-même mené la direction artistique, le groove d'Otto, les lignes de basse solides de Sam Rivers ("Turn it up, Bitch!") les séquences et le doigté unique sur les platines de DJ Lethal, et le flow de Durst. Il y a tout dans STILL SUCKS, leur stupidité, leur claque dans la gueule, une production de furieux signée Ross Robinson, les influences de tout ce qu'a pu faire Wes Borland depuis plus de 10 ans en parallèle de Bizkit, Fred sort tout ce qu'il a autant dans sa voix, dont les intonations claires nonchalantes ont rarement autant sonné comme Kurt Cobain, que dans ses tripes, beaucoup de dérision, de précision et de puissance autant dans la patate que dans la vanne. Qu'il nage à l'aise dans n'importe quelle eau, qu'elle soit nu metal, rap, indus grunge, pop ou folk, Limp Bizkit démontre qu'il n'y a pas mieux placé que Limp Bizkit pour rire de Limp Bizkit et que STILL SUCKS sonne comme une blague post-moderne.

Et je pense même, mais ça c'est dans ma tête, comme le laisse entendre la chanson de conclusion "Goodbye", volontairement dans une vibe boys-band, que ce sera potentiellement leur dernier album. Étrange titre pop et décalé pour terminer l'album, "Goodbye" parle de la rupture pour son propre bien, celle de la délivrance apportée par le suicide si l'on se penche assez sur les mots, la fin d'une relation toxique qui n'a duré que trop longtemps ou que ce soit Limp Bizkit avec sa carrière elle-même, pour le meilleur de ses membres qui ont probablement suffisamment souffert injustement durant toutes ces années de critiques, de virulence, d'attentes disproportionnées, dévorés par le monstre qu'est devenu Limp Bizkit, le groupe en tant que nom lui-même. Après une décennie de promesses non-tenues, de tentatives avortées, de blagues et mensonges au sujet de ce fameux sixième album, Limp Bizkit dit peut-être, avec "Goodbye", qu'il est temps de partir. ("I know you've been hiding things / You've turnеd into my lying king / But positively everything / I say to you I always mean / It's time to go / All this water underneath the bridge is killin' me so slow / It's time to go / Time to elevate my quality of life on down the road.")

Probablement de la surinterprétation mais avec un album aussi trollesque, aussi court, aussi efficace, véritable best-of où chaque piste est la meilleure dans son genre par rapport à tout ce qu'ils ont fait (surtout les titres rap metal), mais également aussi personnel et douloureux dans ce qu'il balance, il n'est pas improbable qu'en nous souhaitant tout le bonheur possible dans un aurevoir, un aurevoir également à son malheur, Limp Bizkit signe avec STILL SUCKS son testament et son suicide en tant que groupe. Si tel est le cas, quel adieu. Quel skeud d'aurevoir. Limp Bizkit ne craint pas et est plus intéressant que jamais. STILL SUCKS est définitivement un album pas comme les autres de la part un groupe qui ne l'a jamais été non plus, ça n'a pas changé, Limp Bizkit est et restera toujours frais, incompris et out of style.

Noct.

Note du rédacteur : 5/5

01. Out of Style
02. Dirty Rotten Bizkit
03. Dad Vibes
04. Turn it up, Bitch!
05. Don't Change
06. You Bring Out the Worst In Me
07. Love the Hate
08. Barnacle
09. Empty Hole
10. Pill Popper
11. Snacky Poo
12. Goodbye

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