Subscribe Us

Breaking News

La Dispute (Interview Exclusive) : "On a toujours été attirés par les approches non conventionnelles de l'industrie"

Le nouvel album de La Dispute (post-hardcore/emo/spoken word), No One Was Driving The Car, sort ce vendredi 5 septembre (disponible dès ce soir minuit), et pour cette occasion, nous avons interrogé Jordan Dreyer, le chanteur du groupe, sur la composition des morceaux, les visuels, ses inspirations et sur la réception par le public !

LN! : Pour commencer, j'ai lu que ce nouvel album est inspiré du film Sur le chemin de la rédemption (2018), mais je ne l'ai pas vu. Peux-tu développer le pitch du film ? 

Jordan : Bien sûr. Le film est sur le pasteur d'une église réformée, une vieille église protestante au nord de l'Etat de New York. Le pasteur traverse une crise vis-à-vis de sa foi après avoir rencontré un activiste climatique extrême. Cette crise se base sur l'état de l'environnement dans notre monde actuel. Quand je le regardais, je sentais que ça exprimait beaucoup de pensées que j'avais en tête durant la pandémie, le confinement, et les deux années qui ont suivies. Le fait de perdre contrôle, d'essayer de faire sens de la volatilité de la vie et notre place dans celle-ci, d'essayer de comprendre des forces hors de notre contrôle et d'essayer de trouver notre place là-dedans. J'ai trouvé que c'était un bon point de départ, structurellement, pour ce que je ressentais depuis longtemps dans ma vie. Pour chaque album, on s'inspire d'un support différent, et pour cet album on parlait depuis longtemps de lui donner une atmosphère cinématographique donc ça marchait bien. En plus, je n'aime pas juste ce film mis aussi la majorité de la filmographie de Paul Shrader, c'était donc une excellente base pour construire la structure de cet album. 

LN! : Tu t'es identifié aux personnages du film et à ce qu’ils traversaient, donc ça t'a inspiré à écrire ?

Jordan : Correct. C'est ça, en gros. Aussi, le directeur du film est né et a grandi dans le même environnement que moi, à Grand Rapids au Michigan, ce qui ajoute une connexion parce qu'on a la même façon de traiter ces thèmes. C'est difficile de se différentier lui et moi sur ces sujets à cause de cette expérience partagée dans cette ville spécifique. Donc au final je me suis senti très lié au directeur et à ce film en particulier. 

LN!: Je vois. Tu dis aussi que le titre de l'album vient d'un article à propos d'un accident de voiture ?

Jordan : Ça vient d'un article de journal que j'ai lu pendant que je cogitais sur ces sujets. C'était sur une voiture autonome, une Tesla, qui s'était écrasée dans un cul-de-sac au Texas. Cette citation m'a semblée être un bon résumé de ce que je ressentais, la façon dont nous cherchons des explications extérieures à notre situation, et comment nous tentons ainsi d'y trouver un certain contrôle, alors qu'en réalité, je pense que la plupart du temps, nous avons bien moins de contrôle que ce que nous croyons, et que nous subissons une forme de contrôle qui dépasse nos propres moyens. Cette situation était une façon brève de mettre des mots sur mes sentiments, donc je savais déjà tôt que ce serait le titre de l'album. 

LN! : D'accord. Comme toujours, il y a beaucoup de paroles dans tes chansons. Tu chantes beaucoup en spoken word, donc c'est toujours un gros travail de décortiquer les textes. Je voulais en savoir plus sur ta façon d'écrire, surtout pour cet album. Est-ce que tu écris ce qui te passe par la tête, est-ce que tu essaies de faire des phrases compliquées ? 

Jordan : Un peu des deux. En général, j'ai une assez bonne idée de ce que je veux faire avec les idées qui sont enfouies dans ma tête, et je les connecte ensuite ensemble en fonction de la structure que l'on a prévue pour l'album. Je relie mes observations du monde avec les thèmes qu'on veut explorer sur l'album. La majorité des histoires sont déjà écrites, puis la structure de l'album se décide, et je commence à assembler les pièces ensemble et à les arranger de façon cohérente comme si on suivait une histoire ou une conversation sur quelque chose de plus grand, dans le cas de cet album, le thème général est donc la perte de contrôle et les réflexions sur le chemin parcouru dans notre vie. A partir de là, c'est beaucoup de reformulations et de travail de précision, pas parce que je me sens spécial dans ma façon d'écrire mais parce que j'ai besoin de faire correspondre les paroles à la structure des chansons que l'on écrit et de les transformer en passages intéressants ou mélodiques. Pour utiliser une métaphore sur la sculpture, chaque passage est un bloc de marbre, et je dois trouver comment le façonner jusqu'à ce qu'il corresponde à la fois à la structure de la chanson et à mes attentes esthétiques. C'est beaucoup de grandes idées à décomposer en phrases, en mots, à combiner, pour essayer de créer un arc thématique pour l'album tout en rendant chaque mot et chaque phrase parfaits, tout en les faisant correspondre musicalement à ce que les autres membres du groupe ont composé. 

LN!: D'accord. Tu as la musique d'abord et tu écris en fonction, ou tu prépares les textes avant ? 

Jordan : Je vais d'abord décrire mes idées pour chaque morceau. Ça peut changer au cours de la composition mais d'habitude j'explique mon idée pour l'album au reste du groupe, je décris les sujets des différentes chansons et leur rythme global, ce qu'elles doivent exprimer… Et ils vont composer la musique en fonction de ça. Après, j'écris les paroles pour qu'elles correspondent au morceau. Donc pour être précis, les idées de sujet viennent en premier, puis la musique, et enfin je réécris mes paroles plus précisément pour les intégrer à la musique. 

LN!: Je vois. Si on s'intéresse par exemple à "Autofiction Detail", j'avais l'impression que toutes les paroles étaient prononcées de façon à entendre un cœur battre constamment, sur le même rythme, surtout à la fin, même si tu répètes beaucoup "a beating heart", tes intonations nous font entendre un cœur qui bat. 

Jordan : Souvent j'ai l'impression qu'on écrit en tandem, notre musique est un témoignage de cette façon qu'on a toujours eue de travailler ensemble et je pense que les autres membres du groupe sont très bons pour comprendre mes idées et les transcrire en chansons. Après on ajuste, mes idées peuvent changer quand j'entends la musique qu'ils ont écrite d'après mes explications. Parfois, je pense que notre musique vient juste du fait que mes 4 partenaires musiciens savent vraiment me comprendre en tant qu'auteur et chanteur, et sont capables de traduire mes idées de façon très pertinentes. Ecouter ce qu'ils composent m'aide aussi à trouver comment retravailler mes paroles de façon plus spécifique. La chanson que tu décris en est un bon exemple. C'est l'image de quelqu'un qui marche seul dans une partie malfamée d'une ville, et qui ressent les traumas des gens qui restent dehors. On ressent la personne marcher, comme si on entendait ses pas et son cœur battre. Je trouve ça cool. Le produit fini montre vraiment la façon dont on se comprend les uns les autres en tant qu'artistes, et le fait que l'on compose ensemble tous les 5 depuis très longtemps. 

LN!: C'est super de voir à quel point vous travaillez si bien tous ensemble. C'est la chanson qui m'a le plus marquée, à cause de ce rythme spécial, la façon dont ça résonne avec nous. 

Jordan : Je vois, ça fait sens. 

LN!: L'album est divisé en cinq parties. Ça se comprend, l'album est assez long : 14 chansons, dont certaines sont assez longues. Comment avez-vous décidé de la façon de découper cet album ? 

Jordan : Le fait d'avoir 5 actes, ça vient de l'idée de structurer l'album comme un film que j'avais décrit au début. On a écrit de base de sorte à avoir 5 parties différentes dans l'album, qui servent à développer l'intrigue. Sortir indépendamment les différents arcs thématiques n'était pas complètement notre intention au début, mais plus on en parlait, plus ça faisait sens. Je crois que ça vient à l'origine de notre manager, qu'on considère comme le 6ème membre de notre groupe et qui est avec nous depuis si longtemps qu'il est maintenant davantage un ami. Ça nous permettait de faire quelque chose d’un peu différent de la façon classique de sortir un album. On a toujours été attirés par des approches non conventionnelles dans cette industrie. Je pense que ça a aussi été un challenge, à cause de la façon dont on consomme la musique maintenant. Ça aurait pu être différent il y a 15 ans, mais la façon dont les gens écoutent de la musique de nos jours rend ça complexe, l'industrie compte surtout sur des singles qu'ils vont placer dans des playlists aléatoires par exemple. On voulait que ce soit différent. On n'est évidemment pas les premiers à faire ça, il y a d'autres groupes qui essaient différentes approches de cette manière, mais ça faisait sens pour cet album de procéder ainsi. Et puis, c'était fun de sortir des grosses parties d'un coup ! 

LN! : Et j'imagine que ça aide aussi à écouter plus facilement l'album, car comme je disais il y a beaucoup de morceaux. Ça aide à prendre son temps pour l'écouter petit à petit. Et vous pouvez voir les réactions des fans au fur et à mesure. 

Jordan : Oui, c'est vrai. Ça aide aussi les gens à comprendre comment l'album est censé être écouté. Et comme tu dis, la partie fun, c'était de voir les réactions des fans, pas sur juste une chanson de temps en temps, mais sur ce que tout l'album peut faire ressentir petit à petit. C'était enrichissant. 

LN! : La partie 3 est sortie à peine une semaine avant de réaliser cette interview et vous avez réalisé un documentaire sur le sujet. Est-ce important d'expliquer votre vision des musiques et la façon dont vous les composez ? 

Jordan : Oui, je pense. En vrai, j'hésite à trop en dire, parce que je veux que les gens puissent voir ce qu'ils interprètent des morceaux. On ne veut pas déposséder les gens de leur vision. Mais d'un autre côté, je pense que c'est aussi important qu'ils aient une compréhension du niveau de réflexion et d'organisation que l'on met dans l'album. C'était une bonne opportunité de leur donner des explications sur ces 5 actes et d'explorer un peu plus les significations et l'intention des morceaux. C'est sympa de donner la chance aux gens d'apercevoir ce qu'il se passe aussi derrière la scène. 

LN! : J'ai vu des gens dire qu'on entendait davantage d'émotions brutes dans ces nouvelles chansons, que ça rappelle vos premiers albums. Qu'est-ce que tu en penses ? 

Jordan : Je pense que la situation actuelle du monde nous fait ressentir des émotions assez intenses et brutes. Chaque album que nous avons réalisé avec un but précis. On savait toujours quelles émotions on voulait transmettre et les décisions qui suivaient servaient cet objectif. Chaque album a toujours sonné d'une façon spécifique car c'était requis par le thème qu'on lui donnait. Pour ce nouvel opus, on ressentait que la musique devait être plus brute, viscérale, avec un sentiment d'urgence et d'intensité. On l'a compris dès le début. On a donc pris la décision de refléter ça via notre écriture. Ce doit être pour ça que les gens disent ça. Nos premiers albums devaient avoir cette intensité car en début de vingtaine, on avait cette urgence d'essayer de faire sens du monde autour de nous. Maintenant pour celui-ci, l'idée s'en rapproche. 

LN! : Je vois. Je me posais aussi des questions sur le visuel de l'album, qui représente un espèce de collage de différentes parties de visages. Comment vous avez créé ce visuel ? 

Jordan : C'est un concept qui vient d'Adam, notre bassiste. Adam a toujours réalisé les visuels de nos album et il est, je pense, exceptionnellement bon pour comprendre les thèmes que je décris. Parfois, c'est même lui qui doit traduire ce que je raconte quand je décris mes idées pour les albums aux autres membres du groupe. Je ne suis pas très bon pour rester concentré sur ce que j'essaie de dire. Il est vraiment connecté de façon spéciale à mon cerveau. Pour quasiment tous les albums, il était le premier à savoir le titre et les idées pour qu'il puisse commencer à le traduire visuellement. Je pense que pour cet album, il a compris que la majorité des thèmes parlait d'à quel point le monde moderne nous fragmentait, et comment on dissociait face à nos traumatismes. Ce collage était une façon de représenter à quel point le personnage de l'histoire se fragmente, tout en confrontant cette part dissociée pour surmonter les crises qu'il vit. Je pense qu'il a fait un travail incroyable pour transcrire mes idées de manière tangibles. 

LN! : J'adore l'idée. C'est intéressant. Vous réalisez aussi cet album de manière indépendante, vous étiez chez Epitaph pour le précédent et d'autres encore avant. Qu'est-ce que ça change pour vous ?

Jordan : Pas grand-chose en vrai. On a gardé une bonne relation avec Epitaph. Ils comprennent notre façon de travailler, repliés sur nous-mêmes. On est chanceux d'avoir le soutien des gens pour chaque album sans questionner notre manière de faire, on nous laisse notre espace et notre liberté pour créer. On se concentre toujours sur ce qu'on veut faire d'un album et comment le réaliser. Heureusement, on a assez d'expérience dans le milieu à présent pour qu'on puisse travailler indépendamment via nos relations, ça nous facilite le processus et on peut pleinement créer avec notre propre façon de faire

LN! : Vous êtes chanceux de pouvoir faire les choses comme vous le voulez ! Vous êtes en tournée en Europe au moment où l'on parle. Qu'est-ce que ça fait de jouer les nouvelles chansons en live ? 

Jordan : C'est cool. C'est fun. C'est différent aussi, évidemment. Il y a des fans qui connaissent toutes les paroles car certaines chansons sont sorties depuis un moment déjà. Il y a aussi une majorité de gens qui connaissent les chansons mais qui ne les ont pas assez écoutées pour chanter autant que les anciens morceaux. C'est un petit challenge pour nous. Mais de manière générale, la réception a été bonne. D'un point de vue plus personnel pour nous 5, on est juste heureux de jouer de la musique, de jouer des nouveaux morceaux devant les foules. C'est une expérience très différente que de les jouer ensemble dans une salle de répétition ou de les enregistrer. Je pense que par-dessus tout, c'était intéressant de voir comment ces chansons se traduisaient en live, de ressentir l'énergie de faire quelque chose de nouveau ; ça fait longtemps que ce n'était pas arrivé. Ça en valait la peine. 

LN! : Je ne crois pas que ce soit annoncé au moment où on parle, mais vous prévoyez une autre tournée en fin d'année ? 

Jordan : Ce sera au printemps prochain finalement, février et mars. On a du le repousser car un membre du groupe va devenir papa. 

LN! : Oh c'est chouette ! Il devrait y avoir un concert à Paris, car vous n'avez pas pu jouer en France sur cette tournée estivale des festivals. 

Jordan : Oui, on aura un show à Paris, c'est sûr. Ce sera une tournée assez courte, environ deux semaines, on en joue pas tant de concerts que ça. Mais on vient d'aller au Royaume-Unis et en Allemagne pour de nombreux festivals cet été. On sera donc de retour l'année prochaine pour visiter davantage de pays et faire une vraie tournée, avec une date en France, c'est sûr. 

LN! : C'est cool. Je pense que beaucoup de monde attend ça. 

Jordan : Oui. C'est bizarre de venir en Europe sans jouer dans les pays habituels, on ne va que dans deux pays. On avait quelques offres de festivals et on n'avait pas tourné depuis longtemps. C'était sympa de venir et de faire quelques dates pour se remettre dans le bain. L'année prochaine, on fera une vraie tournée quand l'album sera sorti. 

LN! : C'est comme un entraînement pour la vraie tournée qui arrive, en fait ! 

Jordan : Oui, on peut dire ça ! J'ai hâte de jouer davantage de concerts. Ca fait tellement bizarre d'être en Europe sans jouer partout. Mais comme tu dis… C'est un tour de chauffe, on verra plus de monde l'année prochaine ! 

LN! : Merci d'avoir pris le temps de répondre à nos questions ! 

Jordan : Merci de de prendre le temps de faire cette interview aussi, ça fait plaisir !

Interview : Margot Patry


1. I Shaved My Head
2. Man With Hands And Ankles Bound
3. Autofiction Detail
4. Environmental Catastrophe Film
5. Self-Portrait Backwards
6. The Field
7. Sibling Fistfight At Mom’s Fiftieth / The Un-sound
8. Landlord Calls The Sheriff In
9. Steve
10. Top-Sellers Banquet
11. Saturation Diver
12. I Dreamt Of A Room With All My Friends
13. No One Was Driving The Car
14. End Times Sermon

Aucun commentaire