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Chronique : Dir en grey - The Insulated World

Il y a ces albums qui se consomment, et il y a ceux qui se découvrent, ceux à qui on laisse le temps. Les albums de Dir en grey ont de tout ça. Tu peux les prendre en pleine gueule de manière instantanée, mais leur musique est faite de telle manière, et surtout constituée d'un torrent d'émotions violentes que c'est nécessairement plusieurs écoutes pour en appréhender toutes les couches, en obtenir toutes les clés. Ils ont cette magie étrange d'avoir la forme d'un kaléidoscope rock ultra large et autant heavy que catchy relativement accessible, mais aussi un côté plus hermétique digne des formations emo/screamo les plus torturées qui sont difficiles à appréhender tant le flot d'émotions demande à être dans une certaine phase avec l'humeur exprimée. C'est ça aussi, la magie et l'aura de Dir en grey

On est facilement dans le rejet avec un nouveau Dir en grey, comme avec un film de David Lynch, mais c'est clairement passer à côté de ce qu'il veut dire, veut faire et se priver de sa véritable esthétique. D'ailleurs Dir en grey, à l'instar de Nine Inch Nails une de leurs plus fortes influences historiques, est un groupe que Lynch pourrait aisément utiliser dans une itération japonaise de Lost Highway ou Twin Peaks (genre Paranoia Agent de Satoshi Kon) tant ils véhiculent le même feeling aussi cauchemardesque, dramatique, que sensuel.

The Insulated World est un album polémique, souvent considéré comme médiocre par les fans récents du groupe qui ont découvert, au plus tôt, avec DUM SPIRO SPERO et ont rapidement identifié le groupe comme étant celui d'une musique barrée, alambiquée, expérimentale, gutturale aux influences deathcore/metalcore avec des structures bizarres et un goût prononcé pour le metal extrême... mais comme le disait Bernard Werber : "Ce n'est pas parce-que vous êtes nombreux à avoir tort que vous avez raison.". Or, pour les plus vieux de la vieille, même si ça a demandé un certain temps avant de pouvoir le digérer, The Insulated World reste un disque qui inspire un vrai retour aux sources comme l'amorçait déjà ARCHE en 2014 mais avec une meilleure production générale, soit sans le travail de surproduction artificielle de Tue Madsen. On y retrouvait déjà un Dir en grey plus simple, plus punk et abrasif. 

L'album possède quelque chose de beaucoup plus désespéré dans son ambiance et les sentiments sans filtre exprimés qu'auparavant, d'où son aspect brut. On pourrait en parler grossièrement comme une sorte de The Marrow of a Bone en plus riche, sans les velléités de singer les groupes américains de l'époque pour s'ouvrir à l'internationale, avec de grandes ambiances uniques et morbides de MACABRE, donc un disque plus personnel. The Insulated World aborde de manière très directe la dépression, la solitude, l'incompréhension, l'insensibilité de la part d'une société en proie à la déshumanisation, à sa virtualisation, qui perd ses vertus à communiquer. Alors que Dir en grey s'est majoritairement exprimé dans une saudade nostalgique, des mimiques grotesques et un sentiment majoritairement dramatique c'est la première fois de leur carrière que je ressens ce dramatique théâtral muté en désespoir brut.

TIW possède quelque chose qui me tape au ventre, droit dans les tripes, un je-ne-sais-quoi de lugubre et de malaisant en soi. Que ce soit les grésillements glauques qui font écho à la musique d'Akira Yamaoka (compositeur des Silent Hill), avec qui le groupe a collaboré par le passé, le chant cassé de Kyô qui chante rarement de manière aussi écorchée et sans trucage, les moments en suspend presque silencieux où seule la batterie résonne, le texte exprimant l'angoisse de celui qui ne trouve pas sa place et qui dit à son interlocuteur qui ne le comprend pas "Leur soi-disant monde de merde où tout le monde se bouffe, dit comme ça, ça te semble mieux ?", rien que sur "Zetsuentai", probablement la pièce maîtresse du disque. Dir en grey sait également toujours jouer sa cacophonie avec "Devote my Life", par ses aspects de punk hardcore chaotique façon Converge ou Poison the Well, criarde, déstructurée, agressive au possible et qui sait mettre dans le mal son auditeur grâce à une atmosphère lourde impeccable. L'album dessine une vraie crise de décharge émotionnelle qui commence par une violence, une colère, se nuance et se mute et enfin s'apaise. Kyô part de la colère, de sentiments très négatifs et pulsionnels et évolue progressivement vers des couleurs plus nuancées de tristesse et de culpabilité, d'amour également sur la fin de disque et "Ranunculus" est cette note de lumière et d'apaisement en conclusion.

TIW regorge de surprises insoupçonnées comme "Downfall", chanson étiquetée rapidement d'anecdotique et de bruit gratuit avec une oreille distraite et pourtant cette chanson jouit d'un son unique que le reste des compositions n'a pas : une influence très appuyée sur des styles heavy résolument old school. Rien que le tremolo et le son de guitare avec le riff principal fait plonger dans l'âge d'or du black metal des années 80 tout en gardant une structure très punk renvoyant sans honte un au Darkthrone post-The Cult is Alive et l'utilisation de la voix de Kyô qui recrée une ambiance grotesque chère au groupe, est tellement appréciable pour parachever ce sentiment de retour aux sources, la résurrection du Dir en grey pur et identifiable.

Le dixième album des rockeurs énervés d'Osaka, même s'il reste majoritairement classique essaie de bonnes surprises avec brio ("Keigaku no Yoku", "Followers", "Ranunculus", "Zetsuentai"), c'est un retour aux sources avec l'expérience grandement acquise au fil des ans, un retour à de la simplicité et à de la violence acide aidée par un travail d'ambiance qu'ils ont réussi à capter avec les années post-UROBOROS, avec leurs diverses collaborations, par le mixage de l'album par Dan Lancaster (Bring Me The Horizon, Lower than Atlantis) et son mastering par Brian Gardner (Linkin Park) qui ont su rendre à Dir en grey la superbe de leurs aspects heavy, rock et pop à merveille. Tout sauf médiocre, c'est ce genre d'album punk sensible et à fleur de peau comme on en trouvait dans la fine fleur du visual kei des années 90, sur la scène emocore/screamo, punk hardcore et même rock industriel pour les textures plus lourdes, mécaniques et cyniques de leur musique. The Insulated World est sûrement le Dir en grey dont on a besoin.

Noct.

Le rédacteur choisit de ne pas mettre de note. 

  1. Keibetsu to Hajimari
  2. Devote my Life
  3. Ningen wo kaburu
  4. Celebrate Empty Howls
  5. Utafumi
  6. Rubbish Heap
  7. Aka
  8. Values of Madness
  9. Downfall
  10. Followers
  11. Keigaku no Yoku
  12. Zetsuentai
  13. Ranunculus


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