Chronique : AFI - Silver Bleeds the Black Sun...
Après des débuts dans le hardcore, l'ajout d'un côté goth avec l'arrivée du guitariste Jade Puget, la transition vers le punk rock puis le post-hardcore/emo qui les a fait exploser, et enfin le post-punk/new-wave avec Bodies en 2021, AFI a toujours été en constante évolution, loin de capitaliser sur le son des albums qui ont fait son succès, au plus grand dam des fans. Silver Bleeds the Black Sun… a été écrit autour d'une idée du chanteur Davey Havok, celle de faire un "mood record", un disque centré sur une atmosphère unique et cohérente, quelque chose de rêveur, éthéré, sombre et grandiose, avec une touche de doom.
Pour autant, on reste dans la lignée post-punk de l'album précédent, le groupe
ayant déclaré avoir débuté "avec quelque chose qui ressemblait à Echo & the Bunnymen", avant de s'orienter, toujours dans un style post-punk, vers quelque chose de
beaucoup plus gothique. L'occasion aussi de rendre hommage aux groupes de leur
adolescence, avec des influences "toujours enfouies dans le cœur musical d'AFI", mais cette fois-ci mises au premier plan.
Les fans d'AFI le savent, en général, l'album s'ouvre sur une intro épique,
et on y trouve au moins une magnifique ballade (du moins, c'est à peu près
la règle depuis Black Sails). Ici, l'intro se nomme "Birds of Prey", et on a droit à une guitare acoustique sur un rythme mexicain, un synthé
à la Cure en fond, et un refrain qui fait très AFI dans la mélodie (genre le
AFI qu'on aime vraiment) : "A drop of poison at a time". Si on
s'intéresse au texte, c'est magnifique : le temps y est dépeint comme
une force puissante contre laquelle on ne peut lutter ("Le temps défie mon visage"), et la répétition de "Call it wine" laisse penser qu'il vaut
mieux l'accepter de toute façon. Pas l'intro la plus épique, mais
suffisamment atypique pour tirer son épingle du jeu. Spoiler (valable pour
tout l'album) : fini les "oh oh" Ã la Offspring typiques du groupe, ils sont
ici remplacés par des "oh", "ah"... totalement différents, plus spontanés,
enfin… vous écouterez !
On rentre maintenant dans le lard avec les gros morceaux et le 1er single,
"Behind the Clock". Très goth, c'est là qu'on sent les
influences à la Bauhaus et Sisters of Mercy, mais aussi de Bowie dans le chant.
Ce qui saute aux yeux, par rapport à l'album précédent, c'est le côté
grandiloquent, plus noir, et des instruments plus lourds (dont une basse qui se démarquera tout au
long du disque). Plus dansant et catchy, "Holy Visions", qu'on
imaginerait passer dans un club goth, avec une partie instrumentale
toujours très réussie. Et bien sur, mon petit préféré : "Ash Speck in a Green Eyes", sur lequel on reconnaît direct la
guitare de Jade Puget (ça aurait pu être l'intro d'un titre de
Crash Love), un bon beat de batterie et Davey qui se fait
plaisir, entre chuchotements inquiétants et refrain explosif !
D'ailleurs, je vous mets au défi de ne pas chanter "My Jeanne, my Jeanne, my Jeanne, my Jeanne Duval" ! Et si vous vous
demandez qui était cette Jeanne : ni plus ni moins qu'une comédienne
française et amante de Charles Baudelaire. Davey parle ici d'un amour non
réciproque et de la douleur engendrée : "Je suis une cendre qui brûle dans le feu de la beauté".
"Spear of Truth" est un titre à part qui renvoie un peu au morceau
d'intro, puisque la guitare acoustique y est ressortie. La voilà notre
magnifique ballade, façon musique de western épique, dressant le portrait
d'un monde peuplé de ténèbres, de tromperies et de désespoir, où la vérité
est présentée comme une lance acérée qui perce les illusions et révèle la
dure réalité. Et Davey de répéter dans le pont : "Ce monde est malade et je ne me sens pas bien, Ce monde est un enfer
austère, austère".
On remarquera aussi le très bon "Blasphemy & Excess", avec
guitare acoustique, batterie qui cogne et gros refrain indus qui fait
penser à Marilyn Manson, avec en prime un excellent solo de guitare.
J'avais un peu plus de mal avec les pistes 7 et 8, Ã savoir "VOIDWARD, I BEND BACK" et "Marguerite", pas les morceaux les plus catchy au premier
abord, mais j'ai finalement trouvé de quoi retenir mon attention sur les
deux : la ligne de guitare parfaite du premier (sans oublier la basse - ça
s'écouterait même en instrumental), et les couplets chantés de façon hyper
caverneuse sur le second : ça ressemble tellement à la voix de Justin
Warfield (She Wants Revenge) que j'ai du vérifier qu'il n'avait pas fait
un feat. sur la chanson ! La mélodie du refrain est très moyenne (se
contentant de répéter "Marguerite"), mais la guitare assure encore et
toujours. Davey a expliqué avoir "atteint les notes les plus graves que j'ai jamais atteintes avec AFI
sur cet album", tout en révélant en interview que son chant suraigu et intense
des années 2000, particulièrement autour des albums
Sing the Sorrow (2003) et Decemberunderground (2006), avait
causé des dommages sévères à sa voix. Il mentionne des nodules vocaux
et des chirurgies qui ont rendu certaines performances live plus
difficiles aujourd'hui. Il insiste sur le fait que c'était une période
d'expérimentation intense, sans technique protectrice adéquate, ce qui a
conduit à une usure cumulative. On peut comprendre qu'il change donc de
registre maintenant.
Le disque aurait pu se terminer sur "A Word Unmade", un titre assez
cinématographique qui débute avec une intro atmosphérique, puis qui
fusionne The Cure (pour l'ambiance dreamy et mélancolique) et Depeche Mode
(pour les textures sombres). Le pont au synthé est
magnifique de noirceur. Davey y parle d'affirmer son individualité dans un
monde en perdition (un thème qui reviendra souvent dans l'album).
Malgré tout, le groupe a décidé de plutôt terminer avec
"Nooneunderground", sursaut d'énergie et presque un troll puisque il
s'agit d'un morceau punk au refrain ultra-rapide ! D'un côté ça dénote
avec le reste, d'un autre, c'est dans la totale continuité, allez
comprendre. Le texte est encore plus sombre que le précédent, on en est
plus au stade du monde défait mais à celui de la désolation totale :
Il n'y a personne à la maison
Il n’y a personne dans ton cÅ“ur
Il n'y a personne sur la photo
Tout sonne comme le fond de la mer
Une attaque atomique, une attaque atomique
Tout sonne comme le fond de la mer
Comme deux trains
Déraillés, déraillés, déraillés, déraillés, déraillés".
On ne va pas y aller par quatre chemins :
Silver Bleeds the Black Sun… est un peu l'album dont on ne
savait pas qu'on avait besoin ! Le groupe se fait plaisir en revisitant ses
premières influences, de Bauhaus à Sisters of Mercy, en passant par les
Cure, Depeche Mode et David Bowie, ça sonne très années 80 tout en
conservant la "patte" AFI, immédiatement reconnaissable dans la guitare de
Jade Puget (ce virtuose), et aux travers de plusieurs lignes de chant. Mais
la basse et la batterie vous laisseront aussi sur le cul : on comprend mieux
pourquoi ces quatre-là ne se sont jamais séparés depuis plus de vingt ans !
Je ne vais pas pleurer parce que je n'ai toujours pas eu mon
Sing the Sorrow bis - en plus, vous l'avez lu, Davey ne peut plus
chanter comme ça - alors je vais prendre au jour le jour ce qu'ils vont proposer, en essayant de rentrer dans leur univers. C'est fait, et
validé. Un disque sombre, poétique, avec un son bien plus moderne et impactant que les
formations qui leur ont servi de référence. Il y a quand même quelque chose
du "grand AFI" sur cet album, qui manquait peut-être Ã
Bodies. Loin des modes, un groupe qui continue de forcer le respect de par son authenticité et son talent.
Note du rédacteur : 4/5
Alucard.
2. Behind the Clock
3. Holy Visions
4. Blasphemy and Excess
5. Spear of Truth
6. Ash Speck in a Green Eye
7. VOIDWARD, I BEND BACK
8. Marguerite
9. A World Unmade
10. Nooneunderground
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