Liquid Bear (Interview Exclusive) : "La guitare fretless est trop rarement utilisée par les groupes !"
En février dernier, nous rencontrions le groupe Liquid Bear (rock progressif)
au Hellfest Corner pour discuter de leur nouvel album,
Second Life (sorti le 7 février).
Kostia (chant, basse) : Bonsoir, bonjour, bonsoir à 15h30.
LN! : Salut ! 15h30 du matin, une interview très tôt dans la journée !
Kostia : Très, très tôt !
LN! : Vous êtes Liquid Bear et vous avez déjà sorti deux EP, mais là, du
coup, ce sera votre premier album ?
Adrien (batterie) : Oui !
LN! : Ça fait quoi de sortir un album pour la première fois ?
Kostia : C'est enthousiasmant et c'était un peu stressant sur pas mal de
trucs d'orga et de budget aussi, parce qu'on est autoproduits. Les deux
premiers EPs, on les a vraiment intégralement autoproduits, c'est-à-dire que
c'est moi qui mixais, on enregistrait tout nous-mêmes, etc. Là, entre les
deux EPs et cet album, on a sorti deux singles qui nous ont permis de bêta
tester, si j'ose dire, un ingé son dans un studio, un ingé son qui s'appelle
Arthur Gouret, qui est super, qui adore ce qu'on fait, et on adore comment
il bosse aussi. On était tellement contents de ces singles qu'on s’est dit,
vas-y, là, on fait neuf titres et c'est lui qui prend tout en charge.
On a pris le temps d'être serein sur le fait d'être moins seuls, avant de
dire qu'on fait un album. On n'aurait pas osé faire ça dès le début.
C’aurait été très ambitieux. Déjà, faire cinq morceaux sur les EP. Est-ce
qu'on aura des regrets ? Autant avoir des regrets sur cinq morceaux et pas
neufs…
Adrien : En plus, au début, on voulait sortir des choses assez rapidement,
histoire d'exister. Après, on a beaucoup plus pris le temps de préparer
l'album, mais on ressent beaucoup de choses maintenant, du soulagement,
stress, et de la fierté aussi quelque part.
LN! : Est-ce que ça a beaucoup changé votre manière de composer ? Parce que
vous aviez plus de choses à faire, mais aussi, j'imagine, plus de travail
autour de l'album ?
Adrien : La différence avec ce qu'on a sorti avant, c'est qu'on était
beaucoup plus préparés. Ce n'étaient pas que cinq titres qu'on a juste
répétés. En plus, avant, on faisait beaucoup de concerts, avant le Covid
notamment. Donc, on avait le temps aussi de tester les morceaux en live.
Quand on arrivait en studio, on savait déjà les jouer. Là, ça impliquait
plus de morceaux, plus de travail en amont. On a tout maquetté de manière
assez précise. On a fait des pré-prods qu'on a envoyés à notre ingé son, en
disant, "voilà, ça, c'est la direction qu'on veut avoir". Et après, il a
fait "ok, je comprends, je vois où vous voulez aller".
Kostia : Oui, on a été clairs sur ce qu'on voulait, sur la direction dans
laquelle on voulait aller. Après, lui, il a juste tiré le truc avec son
matos, son savoir-faire, ses idées à lui, etc.
Adrien : Ce n'était pas le même travail, pour le coup. Parce que là, on
s'est fait vraiment une résidence à la campagne. On a vraiment bien répété
ensemble tous les morceaux, parce qu'on ne les avait pas joués en live avant
à part deux morceaux. Mais tout le reste, on ne les avait jamais joués
ensemble. Pour le coup, il a vraiment fallu qu'on travaille en amont.
Kostia : Après, on n'a pas vraiment répondu à la question. La question,
c'était... Est-ce que ça a changé notre manière de composer ? Je dirais non.
En fait, notre manière de composer, elle a évolué, elle a changé avec le
temps. Par exemple, le premier EP, on l'a vraiment fait en répétant
ensemble, en jammant ensemble, en cherchant des trucs ensemble, en jouant à
quatre.
Naturellement, après le Covid, chaque membre a commencé à avoir un projet
de vie, d’autres projets musicaux... Donc pour cet album-là, les compos ont
plus été faites, je n'ai pas envie de dire à distance, mais on a composé des
trucs chacun de notre côté. Dans l'album, par exemple, il y a deux morceaux
qui sont vraiment des compositions de Gaspard (claviers), à la base.
Adrien : Oui, on a réutilisé les maquettes qu'il a envoyées.
Kostia : Après, évidemment, on a tout mis en structure, etc., ensemble.
C'est un peu comme si quelqu'un ramenait un oeuf et qu’on le couvait tous
ensemble.
Adrien : Oui, j'aime bien la métaphore. Mais il n'y a aucun morceau de
Gaspard solo, il n'y a que des morceaux de l'équipe, c’est juste qu’il a eu
l’inspi de base.
Kostia : Par contre, ce n'est pas à cause du fait que c'est un album. C'est
juste naturellement, avec le temps, la manière de composer change. Ce n'est
pas dû au fait que ce soit un album.
LN! : Ça marche. Est-ce que vous avez réfléchi avant l'album à un concept
que vous vouliez représenter par album, ou c'est plus une compilation de vos
dernières chansons et de vos inspirations du moment ?
Adrien : Les deux. En fait, non, on n'a pas vraiment réfléchi, parce qu’on
n'arrive pas à bosser sous la contrainte de toute façon, donc il y a
énormément d'instinctifs, de spontané, quand on bosse ensemble.
Après, avec les morceaux qu'on a commencé à avoir, on s'est dit qu'il
fallait qu'on fasse un album, et on a gardé ces neufs-là parce qu'il y avait
quand même un fil conducteur sur les paroles. Même un fil conducteur de nos
moments à nous dans nos vies. Ce n'est pas plus réfléchi que ça, mais c'est
un peu pensé quand même. Enfin, ce n'est pas qu'une mixtape.
LN! : Je vois. Pourquoi vous avez pris le titre de Second Life ?
C'est une chanson dans l'album, mais pourquoi vous avez décidé qu'elle
représentait tout l'album ?
Kostia : Parce que, assez vite, quand on a commencé à avoir un peu tous les
morceaux, on s'est dit que c'est celui-là. Celui-là, il faut qu'il soit en
single, pas forcément le seul, mais on voulait le mettre en avant. Aussi
parce qu'on trouve, je pense, qu'on peut dire que c'est celui qui est le
plus représentatif de ce qu'on fait dans cet album, que ce soit au niveau du
gros riff qui glisse, du refrain avec des harmonies vocales, des voix
éthérées et tout. Oui, c'est vener, mais aussi doux et nostalgique. Et au
niveau du thème des paroles, comme avec les EP avant, ce qu'on fait souvent
dans les textes, c'est des constats. C'est-à-dire que ce n'est pas forcément
plus engagé que ça, ou avec des trucs de vécu personnel. C'est tout le temps
des constats. Avant, c'était beaucoup des constats sur l'extérieur, sur le
monde.
Dans cet album-là, c'est plus introspectif. Du coup, Second Life, parle un
peu du what-if général, si j'avais fait ceci, si j'avais pris ces
décisions-là, à tel ou tel moment. On passe notre vie à faire ça, à se dire
"J'en serais où si j'avais pris cette décision avant ?". Il y a tellement
d'univers parallèles où il se serait passé ceci, cela, etc.
Du coup, le fait d'être dans les regrets, et en même temps, peut-être, de
l'accepter en disant "Non, j'ai fait ces choix-là, donc voilà", ça résumait
bien l'ambiance générale de l'album. D'où la pochette aussi, qui est une
espèce de personnage impersonnel qui est en train de chiller sur un fauteuil
et qui réfléchit, qui est en reconstruction permanente avec toutes ces
petites particules.
LN! : Avec des couleurs très flashy aussi.
Adrien : Oui, c'est bien. On voulait s'éloigner de ce carcan typique du
rock, metal, écriture gothique, noir et blanc, désert, cactus.
Kostia : Les gens font de moins en moins ça quand même.
Adrien : Oui, mais du coup, il fallait que ça se remarque et qu'il fallait
que ça fasse mal aux yeux quelque part. On a dit rose, c'est bien.
LN! : Très bien. Après, ce n'est pas du black metal non plus ! Du coup, au
niveau de votre style de musique, c'est un rock assez progressif. Il y a une
espèce d'évolution constante entre les morceaux, une recherche de nouveaux
sons, des nouvelles sonorités, etc. Qu'est-ce que vous recherchez quand vous
vous composez ? Est-ce que vous cherchez à découvrir vous-même des nouveaux
sons, à expérimenter des trucs ?
Kostia : Ça, clairement ! Je ne dirais pas forcément au niveau des sons, on
ne recherche pas des nouveaux sons non plus parce qu'on n'est pas forcément
dans des délires de faire de la synthèse sonore dans tous les sens, d'avoir
des milliards de claviers, etc. On en a quelques-uns, mais voilà. Cependant,
Il y a un truc qui est particulier, qui nous démarque un petit peu : c’est
la guitare fretless, qui est, je trouve, sous-utilisée en général parce que
c'est un instrument super. On entend une guitare, mais il y a un truc
différent, un peu bizarre.
Par contre, on aime bien se surprendre au niveau des compos, des
structures, des cassures, etc. C'est d'ailleurs pour ça que, souvent, on
nous met dans la case un peu prog, ce qui n'est pas du tout quelque chose
que je renie, mais des fois, ça peut faire peur. Prog, on se dit, oh là là,
c'est des trucs de 18 minutes avec un claviériste qui a 7 claviers et une
cape sur scène !
Adrien : Nos morceaux sont assez courts. Les morceaux sont entre 3 et 4
minutes. On est sur un format plutôt radio, mais effectivement, je confirme
ce que dit Kostia, c'est surprenant. On essaye de se surprendre, et de
surprendre aussi les gens avec les structures, on veut éviter le schéma
classique couplet et refrain, couplet et refrain, solo, refrain.
Kostia : Pourtant, il y a des morceaux, c'est clairement ça, la
structure.
Adrien : Oui, c'est ça, sauf que tu vas remplacer le solo par un pont, on
va essayer de moduler, on va essayer d'aller ailleurs ou d'exploiter un riff
de manière différente, de changer la rythmique d'un riff, ou des trucs comme
ça.
Kostia : On a un peu ce truc de se dire : là, on a par exemple tel refrain,
ça fait trop tel groupe. Bon, ce n’est pas pour dire que ce qu’on fait ne
ressemble à rien d’autre, on est tous influencés par ce qu'on écoute… Je ne
vais peut-être pas les citer, mais je sais qu'il y a des morceaux, on a
changé un peu nos refrains car même s’ils étaient bien, il fallait un truc
un peu différent pour pas que ça ressemble trop à un autre groupe. Donc on
aime que ce soit un peu surprenant et qu'on se dise : c'est du Liquid Bear,
pas une copie de tel morceau.
LN! : Pour beaucoup des groupes récents, c'est dur de ne pas souffrir de la
comparaison avec ceux qui ont d'abord expérimenté ce genre de style.
Kostia : Oui… Après, on ne renie pas nos influences, on essaie de faire la
somme de toutes ces influences dans l'idée d'essayer de faire quelque chose
qui ne ressemble qu’à nous.
Adrien : C'est 4 plus 1, en fait. Il y a nos 4 personnes avec chacun ses
influences, mais nos influences, mises bout à bout, ça fait une cinquième
entité qui est censée normalement se démarquer et ne pas faire du sous Deep
Purple, du sous Opeth, du sous Queen Of The Stone Age...
LN! : Vous avez évoqué du coup la guitare fretless que vous utilisez.
Pourquoi vous avez eu l'idée de l'incorporer ? À quel point ça apporte pour
vous quelque chose de jouer avec plutôt qu'une guitare normale ?
Kostia : Déjà dans le son. Ce serait plutôt à lui de répondre, mais
malheureusement, notre guitariste n'est pas là ! Mais comme il l'a dit dans
une autre interview, je précise qu'il ne s'est pas mis à la fretless pour ce
groupe. Il fait de la guitare tout le temps, il a ses réseaux, etc.
Nous sommes très fans depuis que nous sommes ados avec Ilya (guitare) de
Ron Thal, surtout de Bumblefoot. C'est via ce monstre de la guitare qu'on a
découvert la fretless. On a commencé à se demander pourquoi les morceaux
sonnaient comme ça et on a découvert ce qu’était une fretless. On a toujours
été fascinés par ça. Ilya a mis du temps, mais il a fini par se dire qu’il
allait s'en acheter une, il avait envie d'essayer. Sur l'EP Heavy Ground, il
y a le premier solo de fretless, car il venait de l'avoir.
Adrien : Il a réappris à jouer de la guitare pour ce solo.
Kostia : Voilà, voilà. Par la suite, il s'est mis à savoir faire de la
fretless quasiment aussi bien qu'il sait faire de la guitare frettée. Et
donc il s'est mis à écrire des riffs avec et de fil en aiguille il nous a
proposé de l’utiliser d’avantage.
LN! : C'est drôle, parce qu'il y a plein de possibilités sans les frettes.
T'as plein de notes que tu ne peux pas faire avec une guitare normale.
Kostia : Déjà, ça glisse dans tous les sens. Et puis, il faut réapprendre à
jouer parce que tout ce qui est contrôle, post-attaque, on ne peut pas
bender. C'est qu’horizontal, ce qu'on peut faire avec. Les slides, les
vibratos, etc. Il faut vraiment réapprendre. Je ne suis pas le mieux placé
pour en parler. Moi, je l'ai déjà eue dans les mains dix minutes et j'étais
comme un enfant qui ne sait pas faire de la guitare. C'est un autre
instrument.
Adrien : C'est vraiment un autre instrument. Ça peut paraître bête à dire,
mais comme c'est un son particulier, ça a moins d'attaque, donc nous aussi,
en basse et batterie, ça nous a appris à nous recentrer pour être plus
rythmiques. D’habitude, Kostia a une basse très mélodique. Là, du coup, on
s'est un peu forcé à être plus efficace.
Kostia : Oui, marquer les temps forts, des grooves, des trucs, au milieu de
toute cette guitare très bavarde, pleine d’harmoniques, qui glisse dans tous
les sens.
LN! : Ça apporte aussi une originalité par rapport aux groupes dont vous
parliez.
Kostia : Ça nous distingue un peu, je pense, et tant mieux ! C'est-à-dire
qu’elle n’était pas prévue non plus… Mais oui, tant mieux. En plus, encore
une fois, comme c'est un autre instrument, ce que l’on recherche avec est
différent. C'est comme composer au piano ou composer à la guitare. On trouve
des trucs complètement différents, parce qu'on n'a pas la même approche, les
mêmes phrases mécaniques.
LN! : Vous avez fait aussi un feat avec Eva, des Grandma’s Ashes.
Kostia : Ouais, on y tenait !
LN! : Je me demandais d'où ça sortait et qu'est-ce que ça apportait à votre
chanson.
Kostia : On connaît les Grandma’s Ashes depuis 5-6 ans. C'est un groupe de
copines. Même scène, même réseau… On a fait des co-plateaux, etc.
D'ailleurs, on a commencé à bosser avec NRV promotion après avoir rencontré
les Grandma’s Ashes. Elle nous a vu à un co-plateau qu'on avait fait avec
les Grandma’s Ashes. Elle avait dit, j'aime bien ce que vous faites, et
c’était parti ! Donc on les connaît depuis longtemps. On s'adore, on se
respecte beaucoup. Et sur la balade de l'album "All About You", on voulait
une voix féminine. On s'est tout de suite dit : Eva, ça va être super. Avec
son côté un peu lyrique, ses idées originales…
Moi, je suis direct allée la voir et je lui ai dit : "déjà, je te fais
écouter le morceau, et est-ce que ça te dit de co-chanter avec moi ?" Elle a
tout de suite adoré. Elle adore nos harmonies, notre style. On lui a laissé
beaucoup de liberté de proposition, on ne lui a jamais imposé de chanter
quelque chose exactement comme on voulait. Elle a proposé plein de trucs
pour ajouter sa personnalité.
Adrien : Oui, ce n'est pas juste des harmonies. Il y a un contre-chant. On
voulait que ce soit elle, parce que déjà, elle a une personnalité, et
surtout on voulait aussi une voix féminine pour contrebalancer avec la jolie
voix grave de Kostia.
Kostia : Et c'est très cohérent avec le texte du morceau, le côté tout ne
tourne pas qu'autour de ta petite personne. It can not be all about you. Là,
il y a justement quelqu'un d'autre.
Adrien : En plus, elle a tellement une personnalité dans la voix. Ce
qu'elle fait, ne pouvait pas être fait par quelqu'un d'autre.
LN! : Elle a participé un peu à l'écriture des paroles ?
Adrien : L'écriture des paroles, non. Mais elle a quasiment composé son
chant.
LN! : Je me demandais, vous avez prévu de tourner pour cet album ? Faire
des concerts un peu par-ci par-là ?
Adrien : Alors oui, mais il y a une date à noter d'une pierre blanche. Ça
ne veut toujours rien dire, mais il faut la noter. C'est le 16 mai au
Backstage by the Mill. On fait notre release party avec un autre groupe qui
fait sa release party, LISATYD. Et ensuite, d'autres dates, on est en train
de parler. Dès qu'on aura confirmation, on annoncera tout.
LN! : Ça marche. On en reparlera alors !
Interview : Margot Patry
Merci à NRV promotion pour l’opportunité et Sekhmet Eve pour les photos !
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