Ces dernières années, Jinjer (groove metal progressif/djent) est un des
groupes qui m'a le plus marqué, mais, à en écouter certains, leur succès serait
seulement dû à leurs origines et au physique de leur chanteuse. Jinjer s'est
plutôt fait remarquer par la complexité des structures de ses morceaux, des
compositions à la fois progressives, rageuses et imprévisibles. Il suffit
d'entendre "Tantrum", le titre qui ouvre le nouvel album
Duèl (sorti le 7 février dernier) pour s'en rendre compte. Un riff lourd et
puissant, accompagné du chant guttural de Tatiana Shmayluk,
un petit break jazzy en guise de transition avant un refrain plus épuré et un
chant clair, le morceau se terminant par une partie groovy, un duo entre basse
et batterie suivi par un chant doux et des arpèges de guitare pour un final
plus intense. Le décor est planté, du Jinjer dans toute sa splendeur.
Je parlais de la complexité de la structure des morceaux, mais c'est aussi le
cas pour les paroles, avec énormément de profondeur, beaucoup de métaphores,
de deuxième, voir de troisième sens. Un exemple avec la manière dont Tatiana
se réapproprie le procès de Kafka (sur le titre du même nom). Les thèmes sont
variés : la tentation avec "Green Serpent", ou encore "Duèl",
qui parle de l'esprit humain tiraillé entre le self-control ou tout envoyer
chier, ce fameux duel qu'on livre quotidiennement avec notre petite voix
intérieure.
D'une manière générale, l'album traite de l'hypocrisie permanente présente
dans notre société. Mais à en écouter certains, il faudrait presque que le
groupe s'excuse d'être ukrainien, parce que, oui, cet album a vu le jour au
milieu du rythme effréné des tournées, mais aussi et surtout au milieu d'un
climat géopolitique plus que compliqué (ils avaient mis leur carrière entre
parenthèses quelques mois pour participer à l'aide humanitaire au début de
l'invasion de l'Ukraine par la Russie).
Lorsque j'étais allé voir Jinjer au Zenith de Paris en octobre dernier, je me
doutais bien que le set nerveux auquel j'assistais définissait les prémisses
de ce qu'allait être leur prochain album. La prestation du groupe sur
"Rogue" m'avait particulièrement marqué. "Rogue", un des premiers
singles sortis, a pour thème direct la guerre ; un morceau massif, puissant et
brut, la lourde instru répondant au chant guttural de Tatiana, comme si toute
la rage accumulée ces dernières années était résumée en un titre. Un autre
single abordant ce thème mais sous une approche différente : "Someone's Daughter". Cette fois, la chanson parle des civils qui doivent s'adapter au climat de
guerre, quant au clip, il met en scène des femmes importantes qui ont comptée
dans l'histoire de l'humanité, tour à tour Cléopâtre, Marie Curie ou
encore Jeanne d'Arc.
Sur cet album, Tatiana est au sommet de son art. On a l'impression que sa
palette technique s'est encore élargie, elle peut adapter son chant à tous les
styles, aussi bien du guttural, du clair, du mélodieux, de l'envoûtant… la
preuve sur sur "Tumbleweed" ou "Duèl" ( entre autres). Sur les
précédents albums, certaines parties étaient plus orientées reggae (la
dernière partie de "Who Is Gonna Be The One"). J'insiste, cette dame peut
vraiment chanter dans une multitude de registres sans que la qualité soit
détériorée. On la compare souvent à Alissa White-Gluz (Arch Enemy) ou
encore Courtney Laplante (Spiritbox), mais pour moi, la chanteuse de
Jinjer est clairement un cran au-dessus de ces deux grandes artistes
(d'ailleurs, "Tati" a récemment expliqué qu'elle avait bien pensé à faire un
album solo, qui serait possiblement plus orienté pop ou disco, mais qu'elle
craignait la réaction des metalleux).
Mais avant toute chose, Jinjer est un groupe et ne se repose pas uniquement
sur le talent de sa chanteuse. Ils l'ont dit : cet album s'est vraiment fait
en commun, chaque parole, chaque note, chaque partie a été travaillée avec la
plus grande précision. La technique des parties de basse est vraiment
impressionnante ! Le slap et le tapping d'Eugène Abdukhanov sont
de haut niveau. Pour que la magie prenne, il faut également un bon batteur,
c'est le cas avec Vlad Ulasevich, qui gère l'ossature des morceaux de
la plus belle des manières. Pour couronner le tout, on finit avec le
guitariste Roman Ibramkhalilov et ses riffs reconnaissables dès les
premières notes. Jinjer est un aussi et surtout un groupe de djent, et pour
cela, il faut maitriser son sujet dans une multitudes de registres différents.
Si l'un des membres du groupe n'est pas au niveau, tout s'écroule.
Duèl est un album rageur, nerveux, poétique et doux par moments, à
l'image de sa pochette, des balles, des tâches de sang et le titre de l'album
écrit avec une calligraphie gracieuse, comme un symbole d'espoir au milieu de
ce K.O. ambiant. Sur Duèl, Jinjer est à cor et à cri, mais comment en pouvait-il en
être autrement? Un album innovant, dynamique et agressif, prouvant encore
une fois que le style du groupe est inclassable. Un album différent de son
prédécesseur, Wallflowers (qui était lui-même différent de
Macro), Duèl est une nouvelle pièce unique dans la
discographie de Jinjer, le groupe continuant sa perpétuelle évolution. Le
disque le plus marquant de ce début d'année.
Note du rédacteur : 4,5/5
Les + :
- La profondeur des textes - Les changements mélodiques
Les - :
- Un album peut-être "trop bourrin", qui ne plaira pas à tout le monde
Pastaga
1. Tantrum 2. Hedonist 3. Rogue 4. Tumbleweed 5. Green
Serpent 6. Kafka 7. Dark Bile 8. Fast Draw 9.
Someone's Daughter 10. A Tongue So Sly 11. Duèl
Chronique : Jinjer - Duél
Reviewed by Pastaga
on
février 11, 2025
Rating: 5
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