TSS (Interview Exclusive) : "On était dans les premiers à assumer le français à l'international"
Louder Now! : Vous définissez votre style par metal moderne, mais ça reste assez difficile à classer en termes de musique puisque vous alternez entre plein de styles : il y a tout ce qui est emocore, metal, etc, il y a toute une partie synthwave, mais aussi des sonorités qui font darkpop, voire K-pop ou phonk. Je me demandais alors, comment se passe la composition des morceaux pour réussir à mélanger tous ces styles dans un ensemble cohérent ?
John (guitare) : Il y a beaucoup de faux pas en vrai ! On a essayé pas mal de démos, de mix de genres qui n'ont juste pas marché. Les morceaux qu’on a sortis sont de subtils mélanges, un peu les coups de chance qui ont fait que le dosage était bon si je puis dire. Généralement, on trouve des tracks qu'on aime bien dans des styles un peu particuliers, on se dit qu’on va essayer de composer sur ce modèle, on essaie d'y intégrer des guitares, de la vraie batterie… Si ça passe, tant mieux, si ça ne passe pas, tant pis, on peut essayer une autre fois ! Il n'y a pas de recette magique, il faut essayer.
LN! : Est-ce que vous réfléchissez à un style principal et après vous incorporez autour ou juste vous mélangez plein de trucs ?
John : Récemment, on s'est rendus compte que le nu metal c'était le corps de ce qui faisait que TSS marche actuellement. Donc je pense que le nu metal c'est le ciment et après on incorpore un peu ce qu'on veut autour.
LN! : Parlons de l'esthétique du groupe. Vous dites que vous êtes un peu des control freaks de votre image, et en effet, il y a toute une esthétique hyper contrôlée mais hyper spécifique au groupe. On la retrouve dans les vidéos, dans les photos, même les visuels des albums jusqu'à votre look sur scène, etc. Comment est-ce que vous y réfléchissez à tout ça, parce que ça alterne un peu, il y a de l'emo, du visual kei, vous utilisez beaucoup d'images d'animés…
John : On a tous un peu nos inspirations je crois, Matthieu (Kirby) c'est plus dans le visual kei, moi j'ai eu beaucoup d'inspi venant de la K-pop, et surtout de la K-pop féminine, je suis tombé amoureux des crop tops et du coup je ne mets que ça depuis un certain temps ! On essaie de se créer des petits personnages de jeux vidéos, des esthétiques un peu particulières qui viennent de mangas… On ne se met pas de limites, juste, dès qu'on a une idée qu'on trouve stylée, on la porte au groupe, on voit si les autres kiffent, et si ça marche ou pas.
Kirby (chant) : Je sais qu'à l'époque, on faisait des grandes sessions d'appels sur Discord, où on débattait de qui allait porter quoi, on faisait des grands tableaux où on répertoriait tous les modèles qu'on trouvait sur internet, etc. Au début c'était un travail collectif, mais maintenant on s'est tous trouvés notre style à nous, donc on évolue chacun de notre côté, tant qu’on matche avec l'énergie globale du groupe. C'est vrai qu'il y a toujours eu depuis le début un très long travail, que ce soit collectif ou perso, pour trouver les bonnes pièces à mettre au bon moment, etc. C'est un travail en continu derrière, en plus de la musique.
LN! : Est-ce que vous pensez que les personnages que vous créez pour TSS avec ces styles, sont différents de vous en dehors du groupe ?
John : Pas tant… En vrai, sur scène c'est des costumes qui sont un peu extravagants, mais on a tous ce style habituellement de base, donc ça ne change pas trop.
Kirby : Pour moi ça dépend. Dans la vie de tous les jours je varie vraiment du short claquettes à la tenue extrêmement habillée pour sortir, mais du coup souvent ça perturbe les gens, ils me disent : "Mais attends, hier t'étais en short claquettes, pourquoi là t'es super apprêté ?". Mais oui, ça révèle clairement quelque chose de notre vie personnelle.
John : On n'a pas l'impression d'être quelqu'un d'autre dans le groupe, on est nous-mêmes.
LN! : C'est bien aussi, de pouvoir peut-être s'exprimer avec plus d'extravagance sur scène qu'on le ferait dans la vie de tous les jours.
John : Oui c'est ça, on peut oser des trucs !
LN ! : Vous avez récemment été signés par Fearless Records, qui est un label américain. Comment ça s'est passé et comment vous l'avez vécu ?
John : Au lycée avec des potes, on disait toujours "Putain, un jour on sera chez Fearless, le but c'est Fearless Records".
Kirby : C'était vraiment le rêve absolu ! Donc là, c'était à la fois évident, et à la fois fou.
John : Quand on a reçu le mail, on était complètement fous.
LN ! : Vous ne vous y attendiez pas du coup ?
Kirby : Non, pas du tout. Surtout qu'avant ce moment viral, on sortait d'un moment un peu galérien avec un label pour lequel on galérait beaucoup. Je crois que c'était un peu un moment où on n'attendait plus rien. C'est aussi un moment où on s’est dit "Là, il n'y a plus de limite, revenons au metal". On ne s'y attendait pas du tout au succès, ni à ce que dans la foulée, il y ait un des plus gros labels qui nous contacte. C'était absolument inattendu.
LN! : Qu'est-ce que ça vous apporte d'être dans un label comme Fearless, par exemple, comparé à avant ?
Kirby : Beaucoup de choses ! Mais pas ce qu'on imaginait. On sait qu'il y a beaucoup de groupes qui, après une collaboration, disent "On avait vraiment hâte de sortir de ce contrat", etc. Pour nous, c'est vraiment l'inverse. Depuis qu'on est avec Fearless, on a trop d'opportunités, beaucoup plus de visibilité, de crédibilité.
John : Ce n'est peut-être pas que lié à Fearless. Mais en tout cas, ils sont à l'écoute, ils nous laissent énormément de liberté artistique, ils nous font confiance. Des fois, ils nous proposent des trucs, on leur dit non, et ils disent "OK, c’est vous qui décidez", c'est trop bien de pouvoir faire ça. Et des fois, on leur fait confiance et ça marche aussi.
Kirby : Rien que le nom Fearless derrière un groupe, ça apporte une crédibilité qui est folle. Je pense que ça aide beaucoup à ce qu'on fasse les tournées qu'on fait aujourd'hui.
Hugo (batterie) : Et puis, ils ont de l'argent, des moyens, des équipes qui bossent de fou. On a eu un bon contrat aussi. Les équipes bossent super bien. On avait peur d'être le petit groupe au milieu d'un océan de superstars. Et non, ils prennent grave soin de nous. La moindre requête, ils sont là pour nous aider. C'est même l'inverse… Des fois, c’est nous qui les faisons un peu attendre !
LN! : Il vaut mieux ça que l'inverse ! Je voulais revenir également sur votre évolution musicale des dernières années. C'était très darkpop, puis ça a évolué avec de plus en plus de metal. Comment est-ce que vous avez décidé de cette évolution? Est-ce que ça a amené un changement aussi dans vos fans ? Comment vous l'avez ressenti?
John : On a perdu une partie de l'audience quand on est passé de la pop au metal, forcément. D'un point de vue personnel, on se sentait peut-être plus sincères dans ce qu'on faisait, dans le sens où ça résonnait plus avec ce qu'on était depuis très longtemps. Même si on kiffait aussi la musique qu'on faisait à l'époque évidemment. On avait l'impression d'avoir libéré une partie de nous qui était un peu enfouie. Même si on écoutait toujours du metal, le fait de ne pas en jouer, je pense que c'était une petite source de frustration, quelque part. Et tant pis si on perd des gens sur le trajet. On préfère être sincères et faire la musique qu'on kiffe plutôt que se forcer à plaire aux gens. Au final, on plaît à encore plus de gens aujourd'hui. Ça nous a permis aussi de filtrer notre public, dans le sens où les gens qui sont assez ouverts d'esprit pour être aptes au changement, c'est les fans qu'on va préférer parce que nous on va évoluer, on va essayer des choses. Alors oui, on va en perdre en chemin, c'est une certitude... Donc qu'ils partent maintenant ou plus tard...
Kirby : Même d'un point de vue artistique personnel, quand tu es dans un circuit pop, il n'y a absolument aucune place pour rajouter des éléments metal à ta musique. Alors que là, en faisant du metal, on peut absolument rajouter des vibes pop quand on veut, on fait ce qu'on veut. On peut ajouter ce qu'on veut au metal.
LN! : Tu sens que le metal c'est plus libre pour composer autour ?
Kirby : Pour ajouter, pour mélanger d'autres styles, c'est top.
Hugo : Ça a changé beaucoup pour les concerts aussi. Quand on était en pop, c'était galère les concerts, parce qu'on a une formation de groupe. La pop, c'est très souvent des artistes seuls. Ça a toujours été compliqué pour nous les concerts car on ne savait pas trop où nous placer. On était un groupe de pop, mais en live on était beaucoup plus vénères, on avait des guitares. Donc on était un peu entre deux. En vrai, là, maintenant, on est là où on devrait être et c'est cool.
LN! : L'inspiration du metal est venue naturellement avec la perte de l'ancien label du coup ?
Kirby : Pas forcément. La perte de l'ancien label a provoqué plein de trucs. On a eu un changement de line-up, un changement de nom. Puis John a proposé une instru metal, et on a suivi.
Hugo : Il n'y avait rien de calculé !
Kirby : Mais même au moment où on a sorti "Tes pleurs", qui était du metal, à côté on continuait à composer de la pop. On se disait que peut-être on allait rester dans ce style…
Hugo : Il n'y avait pas vraiment de plan défini en fait, c'était bizarre. On avait un Soundcloud avec toutes les maquettes, et ça partait dans tous les sens. On voulait juste se faire kiffer.
Kirby : Mais je sais que quand on a reçu le produit fini du clip de "Tes pleurs", on s'est dit : "En fait c'est peut-être là-dedans qu'on a l'air le plus à l'aise, que notre démarche a l'air la plus sincère"…
John : Et le retour des gens, c'était aussi : "Ça vous va mieux ! C'est plus vous !". Ouais, ça nous va mieux. Donc on était plutôt confiants.
LN! : Du coup toute la pop que vous aviez composée à ce moment-là, vous ne la réutiliserez pas ?
Kirby : On a encore pas mal de choses réécouter. Je pense qu'on a un album entier inutilisé. On réutilisera peut être certaines mélodies ou paroles pour les intégrer à des nouveaux morceaux, mais on ne les sortira jamais en tant que telles !
LN! : Pour reparler de "Tes pleurs" du coup, c'est une chanson qui est entièrement en français. Dans pas mal de vos chansons, vous intégrez du français. Même si vous avez petit à petit aussi l'arrivée de l'anglais, qui domine certaines chansons, comment vous choisissez les différentes langues à utiliser à tel moment ?
John : Ça vient assez naturellement. Généralement, on a des idées de mood qu’on veut associer à certaines parties, et on définit la langue par rapport à ça. Les gros refrains épiques que Matthieu va chanter avec une voix très aiguë, ou travaillée avec du scream et tout, ça sonne mieux en anglais, naturellement. Et les parties rap un peu hyperpop, on pense que ça sonne mieux en français. Aussi, on peut pousser un peu plus l'écriture dans notre langue maternelle, dans le sens où on ne peut pas aussi bien jouer avec les mots dans une langue qui n'est pas notre langue native. Au-delà de ça, maintenant, le français c'est devenu l'identité du groupe. On a envie de démocratiser un peu ça, que les gens pensent que TSS, c’est le groupe qui chante en français. Donc ouais, ça nous fait notre petite originalité, notre petite démarcation, et c'est cool.
LN! : On voit de plus en plus de groupes commencer à intégrer du français dans les morceaux. Avant, je pense qu'on se disait que ça n'allait pas marcher à l'international avec le français. Maintenant, on voit des groupes comme LANDMVRKS et Revnoir qui commencent à mettre du français aussi. Et ça marche quand même à l'étranger. Je sais pas comment vous interprétez tout ça ?
Hugo : Ils nous ont copiés ! (rires). Nous, on faisait du français depuis un certain temps déjà. Mais après, même les groupes comme LANDMVRKS je crois, le premier album, il y avait toujours des petits trucs en français.
Kirby : C'était jamais aussi assumé que maintenant. Je pense qu'à l'époque pour nous, dès "YAYAYA" qui est sortie en 2019, c'était déjà notre main single avec un clip, c'était ce qu'on présentait en tant que gros single. C'était un mélange de couplets en français et chorus en anglais. Pour l'époque, c'était assez inédit en vrai.
Hugo : Oui, comparé à nous, ils faisaient toujours des tracks cachées dans l'album avec une ou deux phrases en français et c'est tout. Et là, tout le monde assume un peu plus le truc.
Kirby : Je pense qu'on a apporté notre petite pierre à l'édifice. Je l'ai déjà entendu de la part d'autres groupes, qui disaient "peut-être que TSS a donné un peu l'étincelle là-dessus".
LN! : Si tu vois que ça marche, ça t'inspire peut-être à oser plus aussi.
Hugo : Oui, comme on l'assumait, peut-être qu'il y a d'autres gens qui se sont dit, nous aussi on peut tester !
LN! : On se rappelle de l'époque où, dans le top du metal français, il y avait Eths, il y avait Aqme, il y avait Sidilarsen...
Hugo : C'est vrai qu'il y avait beaucoup de groupes qui chantaient en français, mais ils restaient en France, ça ne cartonnait pas à l'international. Il n’y a que Eths qui a eu un gros succès à l'étranger à cette époque. Et ouais, c'était vraiment une petite sphère. Mais récemment, on a rencontré des gens qui kiffaient Eths !
Kirby : C'était aux Pays-Bas, et il y avait des gens de Pologne. Quand on leur a dit qu'on était français, ils ont dit "On adore Eths !". Et on en avait justement parlé 5 minutes avant, la coïncidence était folle.
LN ! : Trop drôle ! Est-ce que, pour continuer sur le sujet, vous pensez qu'avoir ce rayonnement international en chantant en français c'est une force, même si les étrangers ne comprennent pas forcément ce que vous chantez ?
John : Ouais, je pense qu'ils kiffent la sonorité française. En fait, ce qui nous a convaincu dans l'idée qu'il y avait un truc à jouer, c'était la K-pop. Dans le sens où personne ne comprend le coréen, et pourtant tout le monde écoute de la K-pop. On s'est dit, pourquoi pas en français ?
Hugo : Même dans le metal, il y a des groupes comme Rammstein qui chantent en allemand et on ne comprend pas tout, mais ça s’écoute bien.
Kirby : Mais en fait, on sait pas trop si c'est bien ou pas, c'est dur de se rendre compte. Il y a énormément de gens que ça rebute, mais qui se rendent jamais dans les sections commentaires en disant : j'écoute pas parce qu'il y a du français. À l’inverse il y a quand même beaucoup de gens qui commentent en disant qu'ils adorent entendre du français.
John : En vrai, à part les Français, c'est jamais arrivé que des gens disent : "jJécoute pas parce qu'il y a du français". Il n'y a vraiment que les Français que le français rebute au final. Les Français aiment bien râler dans les commentaires !
LN! : Les Français qui veulent pas comprendre la chanson !
Hugo : C'est ça : "Je veux pas comprendre la chanson !". Au secours, des mots ! (rires)
LN! : On est quasiment à la fin. Je voulais terminer en demandant : c'est quoi pour vous l'importance de faire des collaborations avec d'autres groupes ?
John : Ça n'a jamais été un point clé du groupe en vrai. Faut que ça soit assez naturel et que ça ait du sens. J'aime bien voir ça comme une extension de TSS, pour tout ce qu'on aime, mais qu'on n'arrive pas à retranscrire ou qu’on ne retranscrit pas parce qu'on a déjà un panel assez large. J'aime bien voir la collaboration comme étant un ajout qui montre qu’on peut faire ça aussi. On prend des artistes qui sont meilleurs que nous dans ces styles. Par exemple, moi j'aimerais beaucoup bosser avec des artistes comme Scarlxrd et des rappeurs un peu plus underground, vénères comme ça, parce que c'est un truc qu'on ne fait pas forcément. C'est une atmosphère qu'on apprécie et qu'on aimerait greffer au groupe. Je pense que les feats, c'est surtout pour greffer des atmosphères qui te parlent mais que tu ne peux pas forcément retranscrire tout seul dans ton propre groupe.
Kirby : Pour moi, le feat avec Cvlt, je le vois vraiment comme une façon de dire : on est ensemble. On a la même vision. Comme un peu une idée de créer un collectif. Je veux dire aux gens : regardez, ce groupe a la même vision que nous ! On s'associe et on vous présente le mélange des deux. C'était juste naturel.
Hugo : On a souvent des discussions sur les feats et c'est hyper vague, on sait jamais. On a pas tous les mêmes envies aussi. Souvent, les gens nous demandent : c'est quoi votre feat idéal ?
C'est dur à dire. Même si tu fais venir une
idole à toi sur un de tes titres, est-ce que ça aura vraiment du sens ?
Kirby : Ou est-ce qu'il sera pas venu juste 10 minutes dans un studio et terminé et on ne le voit plus ?
Hugo : Il y en a plein qui font ça, ils mettent de l'argent pour un guest, ils ont des feats et tout. Je crois que c'est pas trop notre délire. Mais bon, on est pas fermés, on verra.
LN! : Si ça vous ouvre à un peu plus de styles, ça peut aussi vous faire connaître dans d'autres fanbases.
Hugo : C'est sûr, il y a un côté marketing à faire des feats. Mais en vrai, pour les feats, on essaie de voir le côté artistique avant le côté marketing. Parce qu'on pourrait faire des feats avec des gens de tous les continents et ramasser des fans de partout. Ce n'est pas notre but.
Kirby : De toute façon, Cvlt, même s'ils avaient été inconnus au bataillon, on se serait quand même battus pour faire le feat.
John : J'aimerais pas que mes top tracks soient des feats. Je veux être maître de ce que je montre avant tout. Je crois que c'est un avantage pour TSS de base, de tout composer nous-mêmes. On limitera toujours le nombre de feats qu'on fait.
LN! : C'est compréhensible. Merci beaucoup pour cette discussion !
Interview : Margot Patry
Photos : Garnet
Merci à Agence Singularités pour l'invitation !
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